Philippines

phil-1Dû aux sols fertiles et au climat généreux, les Philippines ont depuis toujours été un pays agricole. Aujourd’hui, environ 32% de la surface totale de 300 000 km2 sont classés comme terres cultivées et 30% de la population, soit près de 30 millions de personnes, sont actifs dans ce secteur économique. Cependant, un certain nombre de facteurs ont provoqué un fort déclin de l’agriculture philippine, dont le manque de soutien étatique aux producteurs, le manque d’infrastructures routières et d’irrigation appropriées, la conversion de terres arables à d’autres formes d’usage, des réformes agraires manquées et des réformes de libéralisation commerciales. Alors que l’agriculture comptait encore pour 40% du Produit National Brut il y a 50 ans, ce chiffre est tombé à 11% en 2011. Les Philippines sont aujourd’hui un importateur net de riz, alors qu’ils ont été un grand exportateur de riz dans le passé.

Le secteur agricole aux Philippines est caractérisé par l’accès inéquitable à la terre depuis la mise en place des grandes propriétés foncières sous les colonisateurs espagnols à partir du 16e siècle. Des tentatives de réforme agraire ont essayé de s’attaquer à ce problème structurel, mais elles ont pour la plupart échouées. Ainsi, 20% des terres se trouvent toujours dans les mains de 1% de la population, alors qu’un large nombre de petits producteurs ou de travailleurs agricoles n’en possède que très peu ou pas du tout. Selon le Oakland Institute, près de 90% de la population rurale vit en-dessous du seuil de pauvreté. La répartition inéquitable de la terre, contribuant à une pauvreté généralisée, a par ailleurs conduit à des tensions sociales qui alimentent une guerre civile dans le pays qui a commencé en 1969 et qui continue encore aujourd’hui.

La constitution philippine n’autorise pas les étrangers d’acquérir des terres du domaine public, y compris des terres agricoles. Cependant, les gouvernements successifs ont passé de lois qui ont fini par éroder ce principe en promouvant l’investissement direct étranger, créant ainsi créé un environnement qui facilite l’accaparement des terres. La loi sur les investissements étrangers de 1991 par exemple, a simplifié la participation de capitaux étrangers dans des entreprises locales. Les entreprises étrangères peuvent également bénéficier de nombreuses exemptions fiscales.
Le “Investors Lease Act” de 1993 permet à des étrangers de louer des terres pour une période allant jusqu’à 75 ans, pendant que la réforme agraire de 1988 autorise les compagnies transnationales de contrôler de vastes surfaces de terres arables en s’arrangeant avec des propriétaires fonciers locaux. D’ailleurs, le département de la réforme agraire a également ouvert une série de possibilités pour l’industrie agro-industrielle, comme des joint-ventures avec des firmes locales.

En 2007, le gouvernement Arroyo a mis en place le “Philippine Agribusiness Development Cooperation Center (PADCC)” qui sert à promouvoir le développement du secteur agro-industriel. Le PADCC a par exemple créé un site Internet où on peut consulter le nombre de surfaces agraires qui sont considérés par le gouvernement comme étant inoccupées.

La résistance augmente

L’implication d’entreprises étrangères dans l’agriculture philippine n’est pas un phénomène récent. Déjà aux débuts du 20e siècle, des compagnies internationales comme Del Monte ou Dole ont aménagé des vastes plantations de bananes ou d’ananas. Ces plantations continuent à grandir encore aujourd’hui, occasionnant la perte de l’accès à la terre pour des milliers de paysans qui sont par la suite forcés à s’engager comme travailleurs agricoles sous des conditions de travail déplorables sur ces plantations.

Les Philippines occupent d’ailleurs le 3e rang des pays qui attirent le plus d’investissements étrangers dans l’agriculture, juste après la République Démocratique du Congo et l’Indonésie. Environ 5,2 millions d’hectares sont déjà dans les mains d’investisseurs étrangers (World Trade Report 2013, p. 172). Ceci est la conséquence de politiques qui encouragent fortement des investissements étrangers et lesquelles, selon le gouvernement, sont censées générer de la « croissance inclusive ». Récemment, il a alloué 6 millions d’hectares supplémentaires à la production d’agrocarburants et 2 millions pour le développement d’activités agro-industrielles.

Pour les organisations paysannes, ces grandes conversions de terres ne sont en aucun cas cohérent avec les efforts en matière de réforme agraire. Contrairement aux dires du gouvernement, ces surfaces ne sont pas inoccupées, mais cultivées par des milliers de petits producteurs qui se font expulser. De plus, cette évolution met en péril la souveraineté alimentaire du pays. La résistance à l’accaparement de terres augmente et pas tous les projets agro-industriels ne sont finalement réalisés. Par exemple, l’ancienne Présidente Arroyo a dû annuler un arrangement avec une entreprise chinoise pour 1,24 millions d’hectares à cause de l’indignation de la population.

phil-2Le projet NEH sur Mindanao

NEH (Nader Ebrahim Sons of Hussein) est une entreprise active dans le commerce de fruits et légumes fondée au Bahrain en 1978. La branche NEH Philippines Inc a été créé en 2001 et, avec l’aide du gouvernement, a conclu un accord avec l’entreprise locale AMA Group pour l’exploitation de 10 000 hectares de plantations de bananes à Davao del Norte sur l’île de Mindanao.

A Pantaron, un village dans la zone d’opération de NEH, 2700 personnes vivaient de la culture de riz sur 600 hectares. Il s’agissait de paysans sans terre qui louaient les terres  de petits propriétaires fonciers. Aussi bien les paysans que les propriétaires avaient glissés dans une spirale de la dette à cause des taux d’intérêt exorbitants qu’ils devaient payer pour des prêts avec lesquels ils avaient financés la mise en valeur des champs.

Quand NEH est arrivé, l’entreprise leur a proposé de reprendre leur dette s’ils commençaient à cultiver la banane pour elle. Beaucoup d’entre-deux ont saisi l’occasion, mais ont fini par regretter. Après la première récolte, les paysans ont découvert que l’entreprise n’avait non seulement retiré des payements sur la dette, mais leur avait également facturé d’autres services. Pour le paysan Andreas Caldito par exemple, cela signifiait qu’il reçut 1,40 euros pour sa récolte de mars et avril 2012 qui normalement valait 88 euros.

Par après, NEH a proposé de louer les terres des villageois pour une somme de 720 euros par an sur une durée de 5 ans et d’effacer les dettes. Caldito acceptait en février 2013. Depuis, l’entreprise a repris les terres, mais refuse de lui verser de l’argent avant que Caldito ait pu faire signer des documents au propriétaire qui lui avait loué la terre au départ. Seulement, celui-ci n’habite pas la région et Caldito n’a pas les moyens de faire le déplacement pour aller le trouver. Ansi, Andrea Caldito a perdu sa terre à l’entreprise et se voit privé de tout moyen d’existence. Son cas est typique pour des milliers de petits producteurs.

La conversion des champs de riz en des plantations de bananes destinées à l’exportation a aussi un impact considérable sur la sécurité alimentaire locale avec de nombreuses familles qui souffrent à présent de malnutrition. De plus, l’utilisation abusive de pesticides par voie des airs a cause de sérieux problèmes de santé. La branche locale de notre partenaire KMP essaye actuellement d’organiser les habitants pour s’opposer aux pratiques de NEH.