L’agriculture de subsistance reste au Mali l’occupation principale de 70% de la population. Le pays a une très grande superficie (2 fois plus grand que la France), mais seulement 5% des terres sont arables. La pression démographique, les sécheresses régulières et une agriculture souvent peu durable contribuent à la baisse de la fertilité des sols et à la désertification. Dans ce contexte de pression continue sur les ressources foncières, des tentatives d’accaparement des terres au Mali sont d’autant plus graves.
Pays du Sahel, frappé par de nombreuses crises graves de sécheresses dans les années 70 et 80 avec des famines et des milliers de morts, le Mali essaie depuis d’atteindre une autosuffisance alimentaire et de réduire la pauvreté en même temps.
Fortement influencé par le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale et d’autres donateurs internationaux, le Mali s’est doté d’une stratégie à double objectif: une politique agricole, basée sur des investissements étrangers, qui vise la croissance économique et qui devrait permettre en même temps d’assurer l’autosuffisance alimentaire. Depuis les années 2000, l’Etat essaie de façon ciblée d’attirer des investissements privés dans le secteur de l’agriculture en mettant en avant ses atouts.
Le message du gouvernement envers des investisseurs potentiels est prometteur : Il existe des grandes réserves de terre aménageables avec beaucoup de potentiel, l’eau est disponible, l’Etat assure la sécurité foncière et donne en plus des conditions fiscales généreuses aux grands investisseurs y compris une période d’exonération fiscale. Selon le gouvernement, il suffit d’investir (essentiellement dans les infrastructures hydro-agricoles) et la production peut démarrer.
Cependant, „terres aménageables“ ne veut pas dire „terres non utilisées“. Vu la disponibilité limitée de terres arables, il existe peu de terres non cultivés. Le problème principal est donc la question foncière : à qui appartiennent ces terres ?
La politique appliquée par l’Etat du Mali dans le passé n’était pas très encourageante pour les petits producteurs. Selon le gouvernement, la terre appartient en cas de doute à l’Etat, lequel peut les vendre à des investisseurs comme il l’entend. L’Etat parle tout simplement d’occupation illégale et fait déloger les paysans en cas de besoin.
Souvent la propriété légale d’un terrain n’est effectivement pas claire, car le régime foncier au Mali est compliqué. Il s’agit d’un mélange de lois modernes, selon lesquelles la terre appartient à l’Etat et de droits coutumiers, qui donnent le pouvoir de gestion de la terre aux chefs traditionnels. La décentralisation, qui a donné une certaine autonomie aux communes, a compliqué la situation davantage. Pour sécuriser le droit à la terre des paysans, différents plans d’action visent à attribuer la terre selon les lois modernes par des titres fonciers. Mais cela peut entraîner d’autres pro-blèmes, notamment la spéculation foncière et la tendance des riches de concentrer les terres assez vite en rachetant les titres fonciers.
Le non-respect des droits coutumiers de petits producteurs – ou même de villages entiers dans certains cas – est fortement lié au choix, à savoir quelle agriculture le Mali veut promouvoir. Les dirigeants du Mali ne prennent pas assez en compte les atouts de l’agriculture traditionnelle avec ses variétés locales et surtout négligent le besoin de pouvoir produire sur des petites surfaces, en occupant un grand nombre de personnes et en préservant (ou même restaurant) la fertilité de la terre.
L’Etat du Mali veut essentiellement promouvoir une agriculture orientée vers les habitudes alimentaires des villes, vers l’exportation et basée sur le modèle de l’agriculture „moderne“. Le type d’investissements étrangers, auxquels le Mali fait appel, sont des investissements orientés vers une agriculture industrialisée, qui nécessite des grandes surfaces, beaucoup d’irrigation et beaucoup d’intrants chimiques. Le gouvernement veut mettre en valeur les terres et n’essaie pas de mettre en valeur les paysans.
9 cas de plus grande envergure sont enregistrés dans la base de donnée internationale „landmatrix.org“. Au total plus de 150.000 hectares ont été attribués à des entreprises internationales pour la production de riz, de canne à sucre et des biocarburants. La plupart des grandes attributions a été faite dans l’Office du Niger près de Ségou, la zone de production hydro-agricole principale du pays (et la plus grande zone irriguée de l’Afrique de l’Ouest), dans laquelle se concentre plus que la moitié de la production annuelle de riz du Mali. Les champs sont irrigués à partir du fleuve du Niger par des barrages et des canaux.
Les contrats d’attribution prévoient souvent que les entreprises ne doivent pas payer pour l’utilisation de la terre (attribuée pour 50 ans), mais paient pour l’utilisation de l’eau. Parfois les entreprises doivent également s’engager à mettre en valeur les terres en finançant la construction de canaux d’irrigation additionnels.
D’autres cas d’accaparement de terres de superficie plus petite sont connus dans d’autres régions du Mali, essentiellement pour la production de biocarburants.
Le cas le plus médiatisé et qui a provoqué les premières résistances de la société civile était un contrat d’attribution de 100.00 hectares pour l’entreprise libyenne Malibya dans l’Office du Niger en 2008. Il s’agissait d’un contrat bilatéral entre l’État malien et l’État libyen à travers une société pilotée à l’époque par Mouammar Kadhafi.
Selon le contrat, le Mali s’engageait „à offrir la terre libre de toutes entraves judiciaires ou propriété individuelle ou collective qui empêchent l’exploitation de la terre“ (article 5), c.-à-d. l’Etat avait à sa charge de s’occuper du déplacement des populations et de leur éventuelle indemnisation. Lors des premiers déplacements par contre, pas ou très peu d’indemnisation ont été payées. Les paysans se sont tout simplement faits chasser de la terre.
La société civile et les organisations paysannes (OP) ont pris un certain temps pour s’organiser et pour réagir. Mais à partir de 2009, la mobilisation prenait de plus en plus d’ampleur et les OP, en collaboration avec des organisations internationales, ont réussi à provoquer un écho médiatique assez grand pour arriver à entamer un dialogue avec le gouvernement.
Le projet lui-même n’a finalement jamais abouti. Il y a eu des premières expropriations et certaines installations ont été réalisées. Mais l’action n’a jamais réellement démarré à grande envergure (aussi dues aux résistances de la société civile) et depuis la chute de Gaddafi, le projet est quasi à l’abandon.
Mais le cas de l’attribution de terre à Malibya illustre tous les risques de la politique du gouvernement d’attirer à tout prix des investisseurs dans l’agriculture. Malibya avait, à part l’attribution de la terre, entre autres droit à une exonération de 30 ans de toutes taxes sur les produits destinés à l’exportation. Le contrat stipulait un accès privilégié à l’eau pour la zone d’irrigation de Malibya et la redevance négociée pour l’irrigation gravitaire correspondait à la moitié du montant facturé normalement aux paysans. Plus tard, les responsables du projet ont réussi à négocier de ne pas devoir payer cette redevance du tout.
D’autres entreprises ont essayé et essaieront d’avoir les mêmes avantages et la société civile devra rester sur ses gardes pour empêcher ce même type de bradage des terres au Mali.