Depuis la colonisation par les Espagnols, la majorité indigène en Bolive est totalement écartée du pouvoir. C’est une élite essentiellement d’origine européenne qui concentre toutes les clés de l’Etat et qui contrôle l’économie. Dans ce contexte, l’élection en 2005 du premier président d’origine indigène Evo Morales a suscité d’énormes espoirs. Porté au pouvoir par la majorité indigène défavorisée, son parti MAS (Movimiento al Socialismo) entame directement une série de réformes. L’objectif proclamé de Morales est de mieux répartir les richesses. Il veut changer le modèle néolibéral, combattre la corruption et promet une profonde réforme agraire. En outre, il veut nationaliser l’exploitation des ressources naturelles et renégocier tous les contrats avec les entreprises étrangères pour augmenter les revenus de l’Etat.
Avec cette politique, il s’est évidemment mis à dos les élites traditionnelles qui ont gouverné le pays jusque là et qui craignent pour leurs privilèges. Surtout dans les provinces de Santa Cruz et de Tarija, où se situent la plupart des réserves d’hydrocarbures et les terres agricoles fertiles, il existe une bourgeoisie blanche importante, historiquement liée à la droite politique, qui s’oppose farouchement à la politique du Président. Le conflit éclate ouvertement à partir de 2006, quand ces provinces riches réclament plus d’autonomie, ce qui est refusé par le MAS. Des tendances sécessionnistes resurgissent régulièrement et les relations entre le gouvernement central et les départements de l’est sont très tendues.
L’agro-buisness en Bolivie orientale
Sous les différentes dictatures militaires qui se sont succédées jusqu’en 1982, la Bolivie a accumulé une dette extérieure importante. Afin d’obtenir l’aide de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International pour réaménager la dette, le pays a dû se soumettre à une série de réformes économiques libérales pour réduire le déficit budgétaire. Dans le cadre de cet ajustement structurel, la Banque Mondiale a également initié le programme “Eastern Lowlands” qui débuta en 1990. Il visait à lancer une production agraire à grande échelle dans les plaines autour de la ville de Santa Cruz dans le sud-est, principalement en forçant la culture du soja destinée à l’exportation.
Avec le projet « Eastern Lowlands », l’agriculture autour de Santa Cruz a connu une expansion spectaculaire, augmentant d’environ 400.000 hectares à environ 2,2 millions d’hectares cultivés aujourd’hui, ce qui représente deux tiers de la surface agricole de la Bolivie. La moitié de ces terres est occupée par des cultures de soja destinées à l’exportation, mais on plante également le tournesol (11%) ou la canne à sucre (7%) et le maïs (7%). Les exportations de soja ou de produits dérivés ont atteint 660 millions de dollars US en 2011.
Si des petits paysans existent dans la région, c’est surtout des grands propriétaires terriens qui investissent. Pour la plupart il s’agit d’une agriculture industrialisée avec une forte mécanisation du travail, de l’irrigation et l’emploi massif de pesticides et de fertilisants chimiques. En 2012, 150 millions de tonnes de produits agro-chimiques ont été importés et la majorité des semences utilisées sont transgéniques. Cela explique aussi la présence des grandes multinationales de l’agro-business dans la région, comme Monsanto, Syngenta ou Bayer. Autour de la ville de Santa Cruz, on retrouve d’ailleurs des installations agro-industrielles imposantes.
Ce type d’agriculture a comme objectif de produire un maximum de bénéfices dans un minimum de temps. Les dégradations environnementales et l’appauvrissement des sols ne sont donc pas véritablement pris en compte. En effet, les agriculteurs de la région ont besoin de plus en plus de fertilisants chimiques pour maintenir les rendements. Cela pousse les investisseurs à mettre en valeur de nouvelles terres et ainsi de faire avancer la frontière agricole.
La progression irrésistible de la frontière agraire
Cette progression de la frontière agricole ne menace non seulement la forêt amazonienne, mais aussi les tribus indigènes qui y habitent, comme par exemple les Guarayos au nord de Santa Cruz. Leur territoire a commencé à être mis sous pression avec la construction de la route Santa Cruz-Trinidad au début des années 1990. Il existait déjà des grandes propriétés agricoles auparavant, mais l’amélioration de l’accessibilité du territoire a vite attiré les convoitises des grands propriétaires terriens, puisque c’est également à cette époque qu’a démarré le boom du soja. Ils ont défriché des terrains illégalement pour mettre en place des nouveaux champs ou les ont offert à des entrepreneurs étrangers pour les mettre en valeur.
Cette évolution a forcé les Guarayos de demander d’urgence la protection de l’Etat pour leur territoire. Une loi de 1996 permettait finalement d’accorder la propriété collective à un peuple indigène et on leur attribuait sur le papier un territoire de 3 millions d’hectares par la suite. Seulement, la procédure n’a toujours pas aboutit complètement jusqu’à ce jour, car les personnes qui avaient déjà des propriétés à l’intérieur du territoire ont pu faire exclure leurs terres de la titularisation pour les indigènes : on a donc du vérifier parcelle par parcelle. Evidemment, les grands propriétaires en ont profité pour faire légaliser leurs possessions illégales, utilisant leur influence sur les administrations publiques. Ayant recours au chantage, à l’intimidation et à la corruption, ils ont même pu agrandir considérablement leurs possessions en forçant les dirigeants indigènes à vendre des terrains ou à reconnaître des déclarations de propriété frauduleuses.
Le territoire accordé aux indigènes est en théorie indivisible, intransférable et insaisissable, puisqu’il est considéré comme la propriété privée et collective des indigènes. Mais en même temps qu’il leur confère ce droit, l’Etat a distribué des concessions énormes à des entreprises forestières sur le même territoire : il y a donc deux lois contradictoires qui se superposent. Ces concessions peuvent être reconvertis en pâturages ou en zones agricoles et cette faille dans la législation est utilisée par les entrepreneurs agro-industriels pour s’approprier peu à peu le territoire Guarayos. Des 3 millions d’hectares qui leurs avaient été promis au départ, il leur en reste aujourd’hui encore 1 million.
La déforestation dans la province de Santa Crut a déjà eu un impact significatif sur le climat local. Les températures moyennes sont en augmentation et les précipitations sont en baisse. Cela mène à des conflits pour l’approvisionnement en eaux pendant certaines périodes de l’année. Les grands propriétaires de terre essayent de s’accaparer les rives des cours d’eaux et construisent des barrages pour s’assurer que leurs champs soient irrigués, ce qui crée des problèmes chez les agriculteurs en aval. Aussi les fortes pluies occasionnelles ont aujourd’hui tendance à provoquer des inondations importantes à cause du manque de végétation naturelle.